UNESCO Paris, Salle des Actes

50 ans d’écriture engagée pour une nouvelle humanité

Jubilée  de 50 ans d’écriture engagée pour une nouvelle humanité

Excellences, Eminences, mes chers frères et sœurs, chers amis et chers lecteurs,

Binyo esele mba na bole masoma onyola:

  • Bonam ba nu Nyasam nu lom mba o mundi ma wase
  • Ndolo nya ba Tete na Ba Yeye ba kasi mba o mun mundi ma wase nde ba bola pe mba wongo nangamene no o dangwane
  • Médaille Toussaint Louverture ma 2008
  • AfricAvenir International, Section France

 

Que celui qui m’a envoyé sur cette planète terre et qui m’a conduit dans les 50 années d’écriture soit glorifié

Que mes pères et mes mères qui m’ont accueilli sur les terres d’Afrique, d’Europe, d’Amérique et d’ailleurs et qui m’ont accompagné dans ces 50 années d’écriture engagée trouvent ici ma profonde gratitude

Et vous qui avez été à mes côtés, femmes, frères, sœurs, enfants, ami(e)s, dans tous ces hauts et bas, recevez ma reconnaissance et la chaleur de mon amour

50 ans d’une écriture engagée pour une nouvelle humanité, voilà ce que je me suis promis, par écrit, le jour de mon anniversaire, le 1er novembre 1968. « J’ai 24 ans, Testament d’un jeune Africain », le petit livre est disponible, je peux le toucher cinquante ans après, vous aussi. Il y a 50 ans, j’écrivais ceci :

« Quand je parle d’humanité, je ne parle pas d’humanitarisme. Il s’agit tout simplement de me situer par rapport au monde et à l’histoire de l’Homme. Cela nécessite un travail fou et une volonté ferme, une préparation à long terme… Ce que je demande à moi-même, c’est de remplir ma tâche. Je suis entre le passé et l’avenir. Je suis donc situé indépendamment de moi-même…J’ai 24 ans, c’est déjà beaucoup… Dans la vie, chacun a ses propres voies, ses propres moyens. Et chacun doit construire à partir de ce qu’il possède, de ce qui s’offre à lui, personnellement… J’ai toujours dit que je dois rester ferme dans mes actes, ne pas céder aux diverses tentations mondaines qui ne mènent à rien d’autre qu’à la ruine de l’homme. La question se pose donc d’elle-même. Que dois-je être à l’âge de 30 ou 70 ans ? »

Je peux donc estimer aujourd’hui, publiquement, que j’ai tenu la route tracée il y a cinquante ans, avec mes 74 ans d’âge et mes 50 ans d’une écriture bien conservée.

Je remercie le Président d’alors du Conseil Exécutif de l’UNESCO, S.E. Mr l’Ambassadeur Joseph Olabiyi Babalola Yai, d’avoir remis à AfricAvenir International la médaille Toussaint Louverture à Berlin en 2008, après l’avoir attribué à Aimé Césaire et à Abdios de Nascimento en 2004.

Je félicite la nouvelle section AfricAvenir International de France d’avoir organisé grâce au soutien du département Afrique, au siège mondial de l’UNESCO à Paris, ce jubilé de 50 ans d’une écriture engagée pour une nouvelle humanité. Je vous adresse tous mes encouragements et prie tous ceux qui, en France, au Canada ou ailleurs utilisent abusivement le label AfricAvenir, de choisir une autre dénomination pour leurs structures qui n’ont aucun rapport avec la philosophie, les activités ou les engagements de la Fondation AfricAvenir International. « AfricAvenir » est un nom de marque protégé par nos soins auprès de l’Office d’harmonisation dans le marché intérieur européen en 2015 à Alicante, auprès de l’OAPI à Yaoundé en 2015, et grâce à l’«ARRANGEMENT DE MADRID CONCERNANT L’ENREGISTREMENT INTERNATIONAL DES MARQUES“ du 14 avril 1891, modifié le 28 septembre 1979.

Permettez que du siège de l’UNESCO, dès aujourd’hui, je vous adresse une invitation à Bonabéri-Douala, sur la terre de nos mères et de nos pères : du 27 au 28 décembre 2018, nous allons fêter selon les traditions africaines ancestrales et les exigences de la modernité ces 50 années de grâce d’une écriture engagée et d’un héritage constitué.

Depuis la rédaction de mon testament il y a 50 ans, j’ai évolué dans une approche globale pour comprendre l’évolution du monde, mon itinéraire personnel et les domaines dans lesquels je devais apporter un apport essentiel. Dès mon enfance, j’ai été introduit par les gardiens du temple dans les profondeurs de l’Afrique ancestrale, ma vie d’un enfant joueur devant s’adosser sur des parents adultes et responsables a été vite écourtée, et dans la tradition des princes Bell, j’ai été arraché à mon univers et envoyé en Allemagne à l’âge de quinze ans, dans un environnement bavarois qui ignorait tout de l’Afrique et de l’Africain. J’ai eu six semaines de cours d’allemand avant la rentrée scolaire. Seul noir dans un lycée allemand de plus de mille élèves, je n’avais pas droit à l’échec. 3 ans après, je remporte dans une compétition entre lycées européens le Prix 1964 du « Europäischer Schultag », Ce fut la fierté de notre « Maria-Theresia Gymnasium ». Dans cet environnement allemand, bavarois et quand on m’envoyait du côté de St Galles en Suisse, aussi dans un espace entièrement schwitzerdütsch, la poésie prenait le dessus, en langue duala. Je n’ai toujours pas réussi à faire le deuil de ce gros manuscrit de poésie en langue duala rédigé à Lömmenschwill, dans la ferme Holzrüti, dans les années 1962/64, mais perdu à Munich. Comment expliquer que ma langue duala pût prendre le dessus dans mon expression littéraire, imbibé que j’étais dans un monde entièrement germanique ? Eté 1967 : moi, jeune noir, j’obtiens mon bacc allemand, section maths-sciences. Alors, devenir ingénieur pour rentrer après aider mon pays ?

I – L’approche scientifique

Je cherche des voies qui me permettront de mieux saisir le monde. Je m’inscris en droit, en sciences économiques et en lettres à l’Université de Lyon dès la rentrée 1967/68. Des paris impossibles, avec des emplois du temps souvent inconciliables, mais je n’ai pas regretté. Je découvre avec mon mémoire de maîtrise « Das deutsche Kaiserreich in Kamerun » la colonisation allemande dans mon pays, le Cameroun, et je commence à comprendre le système international de domination, mais aussi celui de la résistance. Avec mon double doctorat en histoire et en études germanique à l’Université Lyon II en janvier 1975, j’affirme à la stupéfaction du monde scientifique ceci : « Hitler voulait l’Afrique. Les plans secrets pour une Afrique fasciste ». La plupart des professeurs français et allemands me prévenaient que je n’allais rien trouver parce que Hitler, raciste, ne s’orientait que vers l’est. Les résultats de mes recherches furent comme une petite bombe scientifique. Les professeurs Pierre Léon de la Sorbonne et Henri Michel me font alors coopter comme membre à titre individuel au Comité International d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale en 1974. A moins de 30 ans, je siège avec les généraux américains ou russes comme le Général Jiline qui ont mené la deuxième guerre mondiale ou à côté des résistants français comme Henri Michel. Ils m’invitent au « Colloque sur la libération de la France » en octobre 1974 à Paris, au Congrès des Sciences Historiques à San Francisco en 1975. Puis d’autres suivront, Varsovie, Helsinki, Florence, etc. En marge du congrès de San Francisco, je découvre le système de ségrégation raciale des USA avec sa violence structurelle. J’interroge les membres de la communauté noire à San Francisco, Chicago, New York. Les Black Power, Black Panthers, Black Muslims m’ouvrent leurs portes à Harlem, Bronx, Brooklyn, je parle avec Angela Davis, Chancelor Williams, Don L. Lee, de grands sportifs noirs, des danseurs, des banquiers, des prêtres catholiques noirs, des ménagères, des prisonniers amis de Georges Jackson. Je leur demande de m’expliquer ce que c’est que les USA, pour moi, jeune Africain, de me dire ce que l’Afrique représente pour eux.  Je rassemble leurs témoignages dans le livre « Africa’s Calling ! African- Americans stand Up for Africa » qu’aucun éditeur européen ne voudra publier. Je continue à creuser dans la recherche scientifique pour maîtriser les mécanismes du fonctionnement du monde. En été 1989, juste avant la chute du mur de Berlin, je défends ma thèse d’habilitation en sciences politiques à l’Université libre de Berlin, Faculté des Sciences politiques. Je décortique la politique africaine de l’Allemagne Fédérale, de l’Egypte jusqu’en Afrique du Sud. Je publie les travaux avec cette interrogation « Was will Bonn in Afrika ? » J’indispose avec mes travaux scientifiques. Pour qui se prend-il, ce nègre, pour venir fouiner dans nos affaires africaines ? Un professeur de Karlsruhe s’était déjà énervé publiquement : « Avec Hitler, nous avons les Juifs sur le dos, et maintenant, Kum’a Ndumbe III nous apporte aussi les Africains. Non, c’est trop ! » Les Allemands ont mis 13 ans pour traduire une partie de mon livre sur Hitler, « Was wollte Hitler in Afrika ?  NS-Planungen für eine faschistische Neugestaltung Afrikas» , et le professeur Wolgang Karcher qui avait osé gérer cette traduction et publication partielle a été mis à mal par d’autres collègues universitaires de son pays. Ces collègues pouvaient monter des intrigues colossales. Mais avec mon bacc maths-sciences allemand, deux titres de docteurs français, une habilitation allemande, personne n’a jamais osé publiquement prendre position contre « ce nègre qui ne peut pas être scientifique », ce Noir qui dérange trop et refuse de se conformer. En effet, jusqu’en ce 2018, les Allemands n’ont pas encore traduit un seul livre de Cheikh Anta Diop ! Et si Alioune Diop n’avait pas créé les Editions Présence Africaine à Paris, aurions-nous pu lire les œuvres de Cheikh Anta Diop ?

Si mes cours à l’Université de Lyon II et à l’Université Catholique de Lyon attiraient beaucoup de monde, à la Faculté des Sciences Politiques Otto-Suhr de Berlin, certains étudiants amenaient leurs parents dans une salle pleine à craquer pour qu’ils suivent aussi ces cours, les journalistes demandaient l’autorisation d’assister. C’en était trop. Il fallait casser ce nègre et le chasser. Certains de mes anciens étudiants allemands m’écrivent encore aujourd’hui pour me remercier d’avoir pu orienter leur façon d’agir actuellement, chacun dans son champ professionnel.

Et quelle fut mon approche scientifique dans mon pays natal, le Cameroun ? En octobre 1979, j’intègre l’Université de Yaoundé, après avoir démissionné de mon poste à l’université de Lyon II. Et je tombe des nues. Mes collègues, toutes disciplines confondues, faisaient des recherches sur l’Afrique et le Cameroun, sur leur village, en se basant exclusivement sur des livres rédigés par des Européens, Américains ou autres rares asiatiques, ou alors ils plongeaient dans des documents d’archives des anciens maîtres colonisateurs ou esclavagistes. Et toute cette démarche, pour publier à leur tour des livres sur l’Afrique ou proposer des solutions sur les problèmes auxquels l’Afrique se trouvait confrontée. Ma réaction fut immédiate : à l’Université de Lyon II où j’ai enseigné en histoire, en sciences politiques et en sciences du langage, les livres, les documents dont nous nous servions parvenaient-ils essentiellement de la Chine, des USA, de l’Allemagne ou d’un autre pays pour expliquer la France ? J’ai donc mobilisé de 1981 à 1986 des collègues juristes, économistes, historiens, anthropologues, sociologues, germanistes etc., et nous avons parcouru tout le Cameroun pour interroger chacun dans sa langue 176 très vieilles personnes, voire centenaires, mais survivants encore de la première époque coloniale de 1884-1916. Comment le pays était-il organisé avant l’arrivée des Européens en droit, en économie, en religion, en sciences médicales, etc., et que s’est-il passé quand les Européens se sont emparés du Cameroun ? Pour les pays africains qui n’ont pas pensé à cela, il est trop tard aujourd’hui, car ces vieux centenaires ont déjà traversé l’au-delà avant le début des années quatre-vingt-dix. Mon groupe de recherche « Souvenirs de l’époque allemande au Cameroun » a invité en 1986 une belle brochette de ces vieux centenaires au colloque d’histoire organisé à l’Université de Yaoundé sur « L’Afrique et l’Allemagne – De la colonisation à la coopération – Le cas du Cameroun, 1884-1986/Africa and Germany – From Colonisation to Cooperation – The Case of Cameroon, 1884-1986 ». C’est eux qui avaient droit à la parole pendant la session de toute une après-midi, s’exprimant devant un parterre d’éminents professeurs et chercheurs venus d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. Aujourd’hui, dans une belle collaboration entre la Fondation AfricAvenir International et la fondation allemande Gerda Henkel Stiftung, et grâce au support des Editions AfricAvenir, nous pouvons présenter au public la collection « Quand les anciens parlent… », avec déjà 15 publications dans la langue originale de l’interview, le CD correspondant et la traduction en français. Des éditions en allemand et en anglais sont en cours d’édition. Pour donner la parole à tous ces témoins camerounais de l’histoire, nous estimons qu’il faudra publier au moins 40 livres dans chaque langue pour mettre à la disposition du public mondial ces témoignages absolument bouleversants, jamais entendus ou lus quelque part. Arriverons-nous à publier ces 120 tomes ? Qui soutiendra financièrement cet effort ?

Ecrire l’histoire et l’avenir de l’Afrique par les sources africaines, les voix africaines d’abord, avant d’aller puiser dans la version des autres sur l’Afrique. Voilà ce que je me suis promis il y a 50 ans.

Les chercheurs et professeurs camerounais se trouvent cependant dans un grand dilemme. On les définit comme « bilingues français-anglais ». Or pour faire la recherche sur le Cameroun, l’allemand, langue du premier colonisateur, est incontournable pour les documents datant de 1884-1916. Et les langues camerounaises, dont beaucoup d’universitaires camerounais ont perdu la maîtrise voire la simple connaissance, demeurent la clé des sources du savoir millénaire et aussi l’expression d’une vision du monde profondément africaine, utile pour les prouesses du monde moderne. On se vante d’universités bilingues, français-anglais, dans un univers africain qui, dans une grande complexité et diversité linguistique et culturelle, a porté l’humanité pendant les millénaires de son évolution. Las de ces dévoiements d’approche scientifique de nos universités, j’ai ouvert en 1995 au sein de la Fondation AfricAvenir International que j’ai créée en 1985 une « Bibliothèque Cheikh Anta Diop » qui collectionne les sources du savoir africain, les apports scientifiques à la marche de l’Afrique moderne, les inventions des Africains et d’autres chercheurs étrangers. En 2015, j’ai enfin réussi à ouvrir, au sein de la Fondation AfricAvenir International, et en collaboration avec plusieurs universités, une « Ecole doctorale pluridisciplinaire Héritage & Innovations ». Il est ainsi donné à chaque chercheur l’opportunité de partir d’abord des sources scientifiques millénaires africaines, d’interroger avec un œil critique ce qui serait considéré aujourd’hui comme acquis scientifique pour l’Afrique dans son domaine de spécialité, et de scruter les possibilités d’innovation pour la stabilisation de cette Afrique en marche. La première promotion a achevé la rédaction des thèses, nous attendons le verdict des jurys lors de la soutenance.

Les publications scientifiques sont destinées à un nombre restreint de lecteurs. Je me suis donc mis à écrire des livres à contenu scientifique mais accessibles, compréhensibles à un grand nombre, surtout aux Africains qui doivent peiner à lire dans des langues qui ne sont pas les leurs. C’est ainsi que sortiront des livres en allemand comme « Wettkampf um die Globalisierung Afrikas », « Afrika ist im Aufbruch, Afrika ist die Zukunft », « Krisenprävention. Ein möglicher Weg aus Krieg und Genozid – Alternativen für die Entwicklungszusammenarbeit », « Nationalsozialismus und Apartheid » dont Jean Paul Sartre publiera un volumineux condensé en français dans « Les Temps Modernes » en 1973.  En langue française, le public aura droit à « L’Afrique relève le défi », « L’Afrique s’annonce au rendez-vous la tête haute », « L’Afrique reprend sa place », « Le trésor des manuscrits de Timbuktu », « 50 ans déjà, quand cessera enfin votre indépendance-là ? », « Vous avez dit démocratie ? », « Stratégie de survie des populations africaines dans une économie mondialisée ». En anglais, « Africa’s Calling – African-Americans Stand Up for Africa » consolidera les liens avec les USA. En langue duala, « Dimbambe la Sawa » offira aux Sawa du Cameroun la transmission authentique des savoirs millénaires. Plus de cent cinquante articles dans des revues et journaux éparpillés de par le monde vont soutenir ce travail de vulgarisation de mes résultats scientifiques et d’expression littéraire.

 

II – L’approche littéraire

Je me rends cependant compte très tôt d’une chose : la publication scientifique ne parle pas au cœur de l’Homme, c’est surtout les belles Lettres qui touchent l’être humain dans ses profondeurs. Mais je ne l’ai jamais planifié, comme on planifie une thèse de doctorat, une thèse d’habilitation. Mes poésies, mes pièces de théâtres, mes nouvelles, mes romans se sont toujours imposés à moi, souvent avec une violence insupportable. J’avais l’obligation de les accoucher, comme une femme enceinte doit accoucher son bébé, sous peine de se détruire elle-même.

J’ai compris qu’il fallait s’ouvrir aux mondes planétaires et extra planétaires, être une voie de communication, se mettre à la disposition pour la transmission, et laisser l’expression venir et s’imposer dans la langue de son choix.

C’est ainsi que sont nés les poèmes en duala à Lömmenschwill en Suisse vers 1962/64, ou « Lumumba II » à Londres, en langue allemande, en 1968. Je vis à Lyon, moi le jeune africain, mais des pièces de théâtre m’investissent en langue allemande en 1970 : « Kafra-Biatanga, Tragödie Afrikas », sur la construction des guerres au Katanga et au Biafra, « Ach, Kamerun ! Unsere alte deutsche Kolonie… », sur le colonialisme allemand au Cameroun, une mise en scène de mon mémoire de maîtrise, « Das Fest der Liebe – Die Chance der Jugend », la célébration d’une rencontre amoureuse essentielle. Puisque les éditeurs allemands ne comprendront pas qu’un nègre se saisisse de leur langue pour mettre en scène une critique acerbe de leur société ou de leur relation avec l’Afrique, un mur de plomb contiendra mes écrits en langue allemande. Qu’à cela ne tienne. En 1973, je sors à Paris en langue française « Cannibalisme » et la traduction française de « Kafra-Biatanga, Tragédie de l’Afrique », mon seul des treize livres allemands traduit en français, par Yvette Revellin. Suivront en 1976 d’autres pièces de théâtre « Lisa, la putain de… », une comédie musicale que Kapela Mulumba voudra avec maestro mettre en scène, « Le soleil de l’aurore », sur l’imposition à l’Afrique d’une nouvelle colonisation, « Amilcar Cabral ou la tempête en Guinée Bissao », un hommage à ce grand stratège et théoricien africain, une réponse à son lâche assassinat. « Nouvelles Interdites » sur les scènes de la vie quotidienne des dix ans de l’échec des indépendances africaines paraitra à Lyon en 1978. Mais le roman « Carnaval, place de la nation », décrivant le monde concentrationnaire des prisons africaines en 1976, n’aura droit à être publié qu’en 2009. Et comment expliquer l’évolution du monde, en déconstruisant les écrits des maîtres de l’occident, et parvenir à convaincre aussi un Européen ? « Dialogue en noir et Blanc – Lettres » fut publié en 1989. Ce n’est qu’à mon frère Blanc de Lyon, Jean Yves Loude, que je pouvais envoyer « ce poids du monde dans sa boîte aux lettres ».

Je vous ai embarrassé de tellement de titres inconnus, de livres que vous n’avez jamais vus, dont vous n’avez jamais entendu parler. J’en suis navré. A cette exposition que vous pouvez visiter dans quelques instants, vous aurez le loisir de constater leur existence physique pour au moins ces cinquante livres aujourd’hui disponibles. Ce ne sont pas des objets de musée, mais des bases scientifiques et littéraires disponibles pour fructifier la marche du monde moderne pour une nouvelle humanité.

 

III – L’approche de l’engagement financier personnel pour édifier des structures durables

Avec mon approche scientifique et littéraire, je ne risquais pas de décrocher les grands prix scientifiques ou littéraires octroyés dans les métropoles occidentales. J’en étais conscient encore très jeune. J’ai dès le départ accepté de renoncer au « mainstream », d’être combattu, marginalisé, voire écarté de structures scientifiques ou littéraires si nécessaire. De 1971 à 2011, je livrais les résultats de mes recherches scientifiques dans mes enseignements à l’Université de Lyon II, à l’Université Catholique de Lyon, à l’Université Libre de Berlin, et à l’Université de Yaoundé I. Donc 40 ans d’enseignement dans le supérieur, en Europe et en Afrique.

Les résultats de mes recherches scientifiques ne devaient souffrir d’aucun compromis, et leur vulgarisation ou mise en forme littéraire ne devait obéir à aucune doctrine, à aucun pouvoir politique ou financier. Il devint donc clair pour moi que si je comptais rester fidèle à mon œuvre jusqu’au bout, je devais créer une structure indépendante, capable de porter cette idée de la marche d’une nouvelle humanité, offrir un lieu du discours, un lieu de rencontres, un espace de communion et de communication, un espace de création, de recherche, un espace de composition de nouvelles stratégies, un espace d’innovation. C’est ainsi que j’ai créé avec des amis à Douala au Cameroun en 1985 les Editions AfricAvenir avec un centre de créations et de recherche. La Fondation AfricAvenir International vit le jour en mai 1993, et en 1995 la Bibliothèque Cheikh Anta Diop fut ouverte.  Aujourd’hui, la Fondation abrite aussi « Le Génie africain », librairie-galerie d’art, l’Ecole pluridisciplinaire de Doctorat/PhD et de Masters, « Héritage & Innovation », et d’autres structures de soutien sur un espace à développer de 2.725m2.

Je devais aller demander le financement à qui, puisque je ne répétais pas ce que l’on attendait d’un Africain pour le féliciter, le soutenir et le financer ?

Puisqu’il fallait investir, je me devais de financer moi-même l’acquisition du terrain, la construction d’un modeste bâtiment, et de mettre mon génie et mon énergie, chaque jour, au service de cette vision de l’Afrique dans ses relations avec le monde, pour une nouvelle humanité. En 2018, nous sommes 14 collaborateurs à travailler au quotidien au siège de la Fondation AfricAvenir International à Bonabéri-Douala, soutenus par un Conseil d’administration international. Trois sections internationales à Berlin, Vienne et récemment Paris représentent la fondation à l’extérieur du continent africain. Et nous avons gagné un partenaire allemand depuis 2015, la Gerda Henkel Stiftung, pour travailler sur la mémoire collective commune des Allemands et des Camerounais, pendant la période 1884-1916. C’est ainsi que les interviews des 176 vieux Camerounais sur le choc colonial, enregistrés de 1981 à 1986 ont échappé à la destruction par l’humidité et peuvent aujourd’hui être transcrits, traduits et publiés dans la collection « Quand les Anciens parlent… ». Et nous découvrons avec stupeur parfois que certaines langues camerounaises articulées par ces vieux ont pratiquement disparues quarante ans plus tard, et nous avons de la peine à leur trouver des transcripteurs.

En conclusion :

Se tenir la main, au-delà des continents, pour une pensée qui libère l’humanité

Les chercheurs du 21è siècle doivent se débarrasser des préoccupations nationales, raciales ou d’intérêt et se doter d’un courage scientifique exceptionnel pour dévoiler au monde la vérité sur la marche de l’humanité depuis la nuit des temps. Les Britanniques viennent de découvrir et de publier en février 2018 que leur ancêtre était un noir. Le congrès annuel des anthropologues américains a révélé en 2015 que la dépigmentation de la peau noire qui a fait naître la couleur blanche n’est qu’un phénomène très récent en Europe et date d’environ 8.500 à 10.000 ans seulement, et ceci pour un « homo sapiens sapiens » noir qui évolue depuis plus de 200.000 ans sur cette planète.

L’Afrique n’est pas seulement le berceau de l’humanité, c’est l’Homme noir qui, au fil de ses migrations et de l’adaptation au climat, est devenu plus clair de peau, est devenu blanc. Jusqu’à quand les universités auront-elles encore peur d’enseigner une vérité scientifique établie ? Faudra-t-il attendre 400 ans comme l’église catholique l’a fait pour accepter les conclusions scientifiques d’un Galileo Galilei (1564-1642) ? Dans quelle église les nations modernes voudront-elles continuer à enfermer leurs peuples pour refuser de leur révéler que si l’Afrique est le berceau de l’humanité, elle est aussi le berceau de la science, de la religion, de l’art, de l’architecture, des lettres, de l’éducation, et de nombreux fondements sur lesquels l’être humain s’est basé pour arriver aux évolutions du monde moderne ?

Dans quelques 32 ans seulement, donc déjà demain, un être humain sur quatre sera Africain pour un continent qui comptera 2,5 milliards d’habitants sur une population mondiale de 10 milliards. Et un jeune sur trois âgé d’entre 15 et 29 ans sera aussi Africain sur cette planète. Et ces jeunes sont entrain de montrer leur capacité d’inventions sur place, dans une Afrique qui regorge toujours de matières premières essentielles. Et nous oublions souvent l’immensité de la superficie de ce continent aves ses terres qui pourraient contenir à elles seules la Chine, l’Inde, les USA, l’Europe de l’est, l’Europe de l’ouest et le Japon. Donc « l’Afrique reprend sa place », comme l’annonce mon dernier petit livre de 2018. La marche de cette Afrique est occultée surtout en Europe par les images du cimetière qu’est devenu la Méditerranée. Il faut dépasser les constructions qui forgent les préjugés. La pensée libère ou détient en esclavage.

 Il est temps de se tenir la main, au-delà des continents, pour une pensée qui libère l’humanité de ses lourdes chaînes de système de domination. Il est urgent de comprendre qu’au-delà des considérations d’égoïsme des nations ou groupes de nations, la marche du monde moderne nous impose un engagement ferme pour une nouvelle humanité.

Pendant cinquante ans d’écriture engagée, j’ai essayé de donner ma très modeste contribution. Aux autres de prendre la relève. Je vous réitère mon invitation à célébrer avec nous à Bonabéri-Douala, du 27 au 28 décembre 2018, selon les traditions africaines ancestrales et les exigences de la modernité, ces 50 années de grâce d’une écriture engagée et d’un héritage constitué.

Je vous remercie.

Par le Prince Kum’ Ndumbe III,

Ecrivain, professeur Emérite des Universités

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