Présentation dans le cadre de la Conférence sous régionale sur le thème : Les manuscrits africains et la recherche en Afrique de l’Ouest : nécessité d’un soutien mutuel, défis et perspectives
Bamako, Mali, 22-23 novembre 2017
Lieu : Azalaï Grand Hotel de Bamako
Organisée par l’ONG SAVAMA-DCI Partenaire de la Fondation AfricAvenir International
« A quand l’Afrique ? »
Tel est, Mesdames, Messieurs, le titre d’un ouvrage de l’Eminent Historien africain d’origine Burkinabè Joseph Ki-Zerbo, publié en 2003, trois ans avant sa mort, sous la forme d’un entretien.
Interrogé par René Holenstein (Docteur en Histoire et spécialiste des questions de développement), Joseph Ki-Zerbo livre à la postérité son regard des enjeux et défis qui attendent l’Afrique au cours de ce XXIe siècle.
Il nous fait une rétrospective de la gloire passée et de la décadence actuelle de notre continent :
« L’Afrique, écrit-il, a évolué comme tous les autres peuples du monde, de façon progressive, depuis les premiers collectifs humains de l’Antiquité égyptienne jusqu’au XVIe siècle, à travers des chefferies, des royaumes, des empires de plus en plus importants, et ce, malgré le handicap du Sahara, qui occupe presque le tiers de l’Afrique. Au Mali, un développement remarquable atetsté par les savants et voyageurs de l’époque avait intégré l’écriture et la civilisation autochtone du savoir et du pouvoir. Au XIIIe et XIVe siècles, la ville de Tombouctou était plus scolarisée que la plupart des villes analogues en Europe. Scolarisée en arabe, bien entendu, mais parfois on exprimait les langues subsahariennes aussi par l’écriture arabe. Y professaient des savants et des maîtres de l’enseignement supérieur qui étaient si prisés dans le monde de l’intelligentsia – aussi bien de l’Afrique que du monde arabe et de l’Europe- que des disciples traversaient le Sahara pour venir écouter ces maitres de Tombouctou, de Djenné et de Gao ». (p.25)
« Au XVIe siècle, poursuit-il, commença l’invasion extérieure : une ingérence de taille, avec les ‘’grandes découvertes’’ de l’Afrique au sud du Sahara et de l’Amérique latine. Ces découvertes ont entrainé (…) la traite des Noirs (…) point de départ d’une décélération, d’un pétinement, d’un arrêt de l’histoire africaine (…). La colonisation réalisa une deuxième forme d’économie-monde (…). La colonbisation a été beaucoup plus courte que la traite des Noirs. Mais elle a été beaucoup plus déterminante. (…). Le colonialisme était un système qui s’est entièrement substitué au système africain. Nous avons été aliénés, c’est-à-dire remplacés par d’autres, y compris dans notre passé. Les colonisateurs ont préparé un hold-up sur notre histoire. Le ‘’pacte colonial’’ voulait que les pays africains ne produisent que des denrées brutes, des matières premières à envoyer dans le Nord pour l’industrie européenne. L’Afrique elle-même a été empoignée, partagée, dépecée, et on lui a imposé ce rôle : fournir des matières premières : ce pacte colonial dure jusqu’à présent ». (pp. 25-26)
Joseph Ki-Zerbo en conclut :
« Je pense que nous pouvons difficilement prendre une place dans la mondialisation, parce que nous avons été destructurés et que nous ne comptons plus en tant qu’êtres collectifs ». (p.24)
Le journaliste Stephen Smith en dresse un bilan apocalyptique dans un ouvrage paru en 2003 (« Négrologie, pourquoi l’Afrique se meurt », Paris, Calmann-Levy) :
« (…) L’Afrique se meurt : 3,3 millions de victimes dans la guerre au Congo-Kinshasa, 800 000 Tutsi massacrés lors du génocide du Rwanda, 200 000 Hutu tués au cours de leur fuite à travers l’ex-Zaïre, 300 000 morts au Burundi, autant en Somalie, sans parler du Soudan, du Congo-Brazzaville, du Libéria, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire … La moitié du continent est dévastée par des « guerres d’écorcheurs » ; l’autre vivote entre crise et corruption, tribalisme et anarchie. Emigration clandestine, fuite des cerveaux : les meilleurs partent. Dans nombre de pays, les fonctionnaires cumulent des mois, voire des années, d’arriérés de salaire, les hôpitaux sont des mouroirs, les écoles fermées. L’Etat s’effondre. Seuls quelques îlots émergent dans un océan de malheurs. Le sida frappe partout, emporte les élites, réduit l’espérance de vie de quinze à vingt ans. Pourquoi l’Afrique meurt-elle ? Après avoir été martyrisée par la traite esclavagiste et soumise par le colonialisme, l’Afrique, handicapée dans le commerce international, en retard sur tous les plans, se suicide (…)».
Bien évidemment, devant un tel désastre, tous les Africains ne pouvaient rester insensibles.
A l’instar de de ce que fait ici au Mali le Docteur Abdel Kader Haïdara et l’ONG SAVAMA-DCI, le Prince Kum’a Ndumbe III des Bele Bele au Cameroun a pris ses responsabilités devant l’histoire pour sauver et consolider l’héritage des Anciens, et ainsi permettre aux générations actuelles et futures de refonder la marche de l’Afrique à partir de sa matrice, à partir de ses réalités propres, pour lui permettre de restaurer sa diginité, de se remettre débout.
Héritier d’une dysnastie royale qui s’opposa vigoureusement à la colonisation allemande du Cameroun, le Prince Kum’a Ndumbe III a fait de brillantes études en Europe sanctionnées par un Doctorat en Histoire, et un autre en Etudes Germaniques (Université de Lyon II, 1975). Il a été Professeur avec habilitation allemande en Sciences Politiques de l’Université Libre de Berlin (1989). Il a mais continue à diriger les thèses de doctorat enseigné à l’Université de Lyon II de 1975 à 1979 comme assistant à l’Institut d’Etudes Politiques, au Département d’Histoire et au Département des Sciences du langage – unité d’allemand et à l’Université Catholique de Lyon, Institut des Sciences Sociales Appliquées (Histoire, Sciences Politiques, 1975-1979), à l’Université Libre de Berlin (1989-2001).
Malgré tous les avantages d’un poste sûr dans les universités occidentales, il a quitté l’Europe en 1979 pour s’installer dans son pays et mieux servir l’Afrique. Il commencera comme chargé de cours, passera Maître de Conférences, pour terminer sa carrière comme professeur Titulaire à l’Université de Yaoundé I où il prendra sa retraite en 2011, tout en restant actif dans les universités européennes. A Yaoundé I, il a professé dans les départements de théâtre, d’Etudes Germaniques qu’il crée, et d’histoire. Il continue à diriger les thèses de doctorat en histoire, en Etudes Germaniques, et en Sciences politiques.
Peu satisfait des orientations et programmes trop classiques importés de l’étranger, le professeur Kum’a Ndumbe III crée en 1985 un cadre privé pour l’articulation d’une pensée libre, indépendante : le Centre de créations et de Recherches AfricAvenir, avec les Editions AfricAvenir, sur les terres de ses parents à Bonabéri-Douala, sur 2300 m2. Le Bâtiment sera prêt en 1989 et l’ensemble des activités sera transformé en Fondation AfricAvenir International en 1993. En son sein, il crée une Bibliothèque Cheikh Anta Diop, avec une section recherche scientifique et une section jeunesse, ayant à ce jour un fond documentaire de plus de 7000 ouvrages, sans compter les données archivistiques et les supports audiovisuels.
C’est là, au cœur de cette Fondation AfricAvenir International, qu’il décide de loger en 2015 une Ecole doctorale qu’il baptise « Héritage and Innovations » dont la première cuvée livrera ses résultats en février 2018.
Cette Ecole Doctorale est une structure de l’« Institut Universitaire pour la Renaissance Africaine et la Gestion du leadership dans les affaires africaines » née dans le cadre du projet international « présevation et transmission de la Mémoire collective de l’Afrique » actuellement en cours à la Fondation AfricAvenir International et soutenu par la Fondation allemande Gerda Henkel Stiftung.
« La question centrale qui se pose dans la formation que nos universités et instituts ont pu donner aux Africains depuis les indépendances est celle-ci : avons-nous réussi à former une élite disposant d’instruments théoriques et pratiques adaptés à son environnement, une élite capable de résoudre les problèmes précis des sociétés africaines d’aujourd’hui ? Le doute est bien permis. En observant de près les résultats de ces formations, nous sommes souvent consternés par l’illettrisme de nos diplômés sur les questions de leur propre environnement. Or comment peut-on résoudre les problèmes de son propre environnement, si ni à l’école, au lycée ou à l’université on n’a pas été confronté de manière théorique et pratique aux questions qui vous concernent, vous et votre société ? Nos diplômés bien formés sur place ou en occident maîtrisent parfaitement l’approche théorique de la question de leur spécialisation et peuvent retenir l’attention partout dans le monde. Seulement, les instruments pédagogiques qu’ils ont utilisés tout au long de leur formation tiennent rarement compte des réalités africaines et sont encore moins inspirés de théories issues de penseurs africains. Le drame de cette élite formée avec des outils étrangers, voire souvent inadaptés à leur monde africain est qu’ils deviennent leaders dans leur pays et sont appelés à résoudre les questions urgentes de leurs sociétés. Comment doit-on pouvoir résoudre de manière adéquate des problèmes auxquels on n’a jamais été confrontés de manière théorique ou pratique tout au long de sa propre formation ?
Comment éduquer et former une jeunesse africaine qui soit intellectuellement solide et dont les compétences sont à la hauteur des grands défis actuels aux niveaux politique, économique, spirituel, scientifique, etc. ? Comment enraciner la jeunesse africaine sur le socle de son héritage millénaire afin qu’elle soit en même de gérer avec lucidité et perspicacité les problèmes majeurs de l’Afrique actuelle ? Comment décloisonner le savoir scientifique hors des amphithéâtres en le confrontant à cette autre réalité du terrain afin d’être plus compétitif et imbattable au niveau international ? » Telles sont les questions qui irriguent l’esprit du Prince Kum’a Ndumbe III.
Unique dans son genre, l’Ecole Doctorale fait de la pluridisciplinarité son crédo en offrant aux jeunes chercheurs la possibilité d’élargir leur horizon scientifique. Libérer la connaissance embrigadée derrière les barrières scientifiques que leur imposent parfois leurs disciplines respectives, et la mettre en relation avec d’autres domaines du savoir, telle est l’orientation de cette école doctorale. Ainsi, le juriste découvrira par exemple la linguistique, l’histoire, la philosophie, la littérature, les arts, l’agriculture, etc. Cette philosophie prend corps à travers la méthode dite Global Approach qui consiste concrètement à l’apprentissage sur le terrain afin d’acquérir non seulement des savoir-faire mais aussi des savoir-être. C’est-à-dire apprendre par la pratique directe. L’Ecole Doctorale axe son modèle de formation sur trois piliers principaux : tout d’abord la maitrise de la discipline scientifique de prédilection du candidat, en y incluant l’héritage scientifique africain, puis la capacité de l’apprenant à s’ouvrir à d’autres corps de connaissances (théoriques ou pratiques), enfin la praxis, la matérialisation de ces savoirs sur le terrain dans des situations complexes du quotidien.
Octroyant des bourses de doctorat aux meilleurs étudiants d’Afrique et d’ailleurs dans toutes les disciplines scientifiques pour certains qui ne peuvent pas payer, Héritage & Innovations se veut un haut lieu d’excellence qui porte l’ambition d’une Afrique plus forte en vue de son repositionnement sur l’échiquier mondial. Pour accompagner cette jeunesse, l’Ecole Doctorale assure aux chercheurs un encadrement de haut vol à travers des séminaires, des conférences, et des workshops tenus par des sommités mondiales dans divers domaines scientifiques, toujours en tenant compte de l’héritage scientifique africain et des innovations africaines contemporaines. Ces professeurs et experts originaires de diverses nationalités (africaine, européenne, asiatique, américaine) dispensent ainsi leur savoir et acceptent de diriger les travaux de recherche.
Le cycle de Master de deux ans sera ouvert au 2e semestre 2018.
En conclusion, le Prince Kum’a Ndumbe III est convaincu qu’il est impossible de parvenir à la Renaissance africaine sans des transformations profondes au sein des sociétés africaines elles-mêmes. Ces changements ne se cantonnent pas au niveau politique. Ils doivent investir le champ de la culture et de l’éducation, notamment universitaire.
A la question du Professeur Ki-Zerbo de savoir : « A quand l’Afrique ? », le Prince Kum’a Ndumbe III répondait déjà en 2012 par un ouvrage : « L’Afrique s’annoce au Rendez-vous, la tête haute » (Editions Africavenir).
Avec cette Ecole Doctorale crée à Douala en 2015, il fait, assurément, un grand bond vers ce « rendez-vous ».
C’est pourquoi, empêché, il m’a missioné ici, me chargeant de vous transmettre ses salutations chaleureuses et de vous dire qu’il attend impatiemment les « Manuscrits de Tombouctou », pour ainsi permettre aux Etudiants de l’Ecole Doctorale et aux Africains de s’en imprégner, pour reprendre confiance afin de reécrire par eux-mêmes la trajectoire glorieuse de leur Histoire.
Je vous remercie de votre attention.
Par Professeur Blaise Alfred NGANDO
Agrégé d’histoire du Droit – Université de Yaoundé 2 (Soa)
Membre de du Conseil Scientifique de l’Ecole Doctorale « Héritage & Innovations » de la fondation AfricAvenir International
(Cameroun)