Hommage à un Aîné d’Afrique, Léopold Sédar Senghor, le penseur, poète et Homme d’Etat, Académie du Royaume du Maroc, 27 avril 2017

i.       Hommage à celui qui mérite hommage

Á ɓelímbí óɓâ !
Á ɓelímbí tɔpɔ̂ !
Á ɓelímbí láŋgwá myaŋgó má Sedar Senghor, nú múna á Senegal
Ŋgum níndɛ̄nɛ, ná ɓambámbɛ́ ɓá díŋgɛlɛ mɔ́
Senghor, mutélɛ́ maŋgeá, ná á wûmsɛ na musaŋgo
Musaŋgo mú ɓɛ́ na oǎ

Fils du Sénégal, les tambours de l’Afrique profonde ont parlé, pour que profondément, tu reposes en paix.

Je suis venu rendre hommage, rendre hommage à un Aîné, rendre hommage à celui qui mérite hommage. Je suis venu à Rabat, accompagné des voix profondes des Bele Bele, des tambours et des cloches des Sawa, je suis venu à Rabat, accompagné des chants de gloire des peuples du Cameroun pour dire un mot : nous nous inclinons devant toi, Léopold Sédar Senghor, fils digne d’Afrique, issu des terres du Sénégal. Nous reconnaissons, tu as le mérite, et de t’encadrer, de te porter, nous demandons aux ancêtres.

Honorable Assemblée réunie par l’Académie Royale du Maroc, j’ai apporté un vieux livre, publié aux Editions du Seuil en 1945 et 1948 que j’ai acheté dans les années soixante, et qui m’a profondément marqué pour comprendre la complexité du personnage qu’est Senghor :

« Chants d’ombre – Hosties noires ».

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main
Chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
Votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux
Généraux
Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris
Vous enterrer furtivement
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans
honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs
De France
Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des
nuits de Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les
canaux de moire et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux
Car les poètes chantaient les rêves des clochards sous
l’élégance des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était
pas sérieux, votre peau noire pas classique
Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre
peuple, mais d’être son rythme et son cœur
Non de paître les terres, mais comme le grain de millet
de pourrir dans la terre
Non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et
sa trompette
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
votre frère de sang
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main
chaude, couchés sous la glace et la mort ?
(Paris, Avril 1940)

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